Propos recueillis par Sophie Bigot-Goldblum

 

 

Ce mois-ci, nous avons rencontré le rabbin Tom Cohen, à qui l’on doit (avec d’autres) le dernier né du paysage éducatif juif en France:  une nouvelle école rabbinique à Paris.    

 

  • Qu’est ce qui vous a amené à vous tourner vers l’éducation?

 

C’est avant tout une série de rencontres lors de ma formation rabbinique. Tout d’abord, celle d’Elliott Dorff – l’un des plus grands halachiste de sa génération, qui enseigna à l’Université du Judaïsme en Californie où j’étudiais. Il m’a transmis sa passion du texte, du talmud et de la pensée rabbinique. Je recommande vivement la lecture de ses livres. J’ai aussi eu la chance de rencontrer Marshall Meyer lors de son séjour en Californie – c’est lui qui m’a poussé au rabbinat. Disons quelques mots sur R. Meyer pour le public francophone qui ne le connaitrait pas encore. 

Rabbi Marshall T. Meyer était un rabbin Conservative (Massorti) américain qui fut reconnu comme un militant des droits de l’Homme d’envergure mondiale pour son action  sous la dictature Argentine. Par ailleurs, et petit clin d’œil, Rabbi Meyer fonda lui aussi une école rabinique progressiste en Argentine, le Séminaire rabbinique d’Amérique Latine. 

  • Quelle formation avez vous reçue? 

 

J’ai commencé par une double licence entre l’UCLA (Californie)  et l’université du judaïsme avant de partir étudier un an en Israël. De retour aux Etats-Unis  j’ ai fait une licence de littérature hebraique. Puis je suis reparti à Jérusalem pour étudier à l’institut Schechter –du mouvement Conservative- deux ans tout en suivant des cours à l’Université Hebraique. J’ai fini mon cursus rabbinique à JTS à New York, et je suis  en France depuis 1992.

-Racontez nous un peu votre expérience à votre arrivée en France: 

 

J’ai commencé ma carrière rabbinique a Copernic.  A l’époque, les femmes ne comptaient pas dans le minyan, ne lisaient pas dans la Torah. Moi, rabbin massorti et égalitaire, je ne comprenais pas ces juifs libéraux ! J’ai ensuite travaillé à Adath Shalom, où j’ai enseigné le Talmud Torah en anglais, tout en officiant à Lyon tous les quinze jours. Peu à peu, j’ai commencé la communauté dans le nord-ouest de Paris, c’est ainsi que Kehilat Gesher a vu le jour. 

  • Parlez-nous de votre dernier projet :  

 

Depuis plusieurs années, nous recrutons et envoyons des étudiants au Leo Baeck College, le séminaire rabbinique progressiste de Londres. Londres a l’avantage d’être au centre d’un monde progressiste juif dynamique, avec une quarantaine de communautés. Cela permet à nos futurs rabbins de se former directement sur le terrain, en faisant des stages.

 Nous avons commencé par recruter 5, 6 étudiants, en qui nous voyions  de potentiels éducateurs, leaders, du monde juif francais. 

Au fur et à mesure, des difficultés se sont posées. Tout d’abord, des différences d’approches et d’intérêts entre Français et Britanniques. Nos étudiants désiraient une approche plus philosophique, conceptuelle. Des différences culturelles aussi : Leo Beck enseigne le nussar (rite) anglais, qui est assez différent du rite ashkénaze français, et bien davantage du rite sefarade. Lorsque le brexit s’est ajouté à tout cela, rendant les frais d’inscriptions pour nos étudiants prohibitifs, nous avons décidé de sauter le pas et de fonder notre propre séminaire en France. 

Cela permet non seulement de faire tomber la barrière linguistique, qui reste un frein pour un certain nombre d’étudiants, mais surtout cela rend possible la formation a celles et ceux qui ne peuvent s’exiler aux Royaume Uni pour des raisons familiales. 

  • Combien d’étudiants sont actuellement en formation? Quel avenir leur prédisez- vous? 

Nous avons 11 étudiants actuellement dans le programme, c’est-à- dire 11 futures réformes en France : une petite révolution! C’est d’ailleurs davantage que le séminaire orthodoxe de la rue Vauquelin.

 

Quant à leurs débouchés professionnels, il va y avoir dans un premier temps un remplacement naturel, un certain nombre de rabbins libéraux francophones partent bientôt à la retraite. C’est le cas à Genève, par exemple. Dans d’autres, ce sont des communautés qui grandissent et nécessitent désormais plus de personnel, comme c’est le cas à la CJL (communauté libérale du Rabbin Pauline Bebe, directrice de l’Ecole rabbinique de Paris). Il y a aussi beaucoup de communautés en province qui cherchent des rabbins, ainsi que des communautés informellement attachées au consistoire qui sont amenées à embaucher des rabbins habad ou de jeunes israéliens qui ne connaissent pas la communauté française et qui ne correspondent pas au niveau de pratique de ces communautés. Certains de nos étudiants pourraient être une bonne option pour eux.  

  • Pour finir, avez vous une anecdote sur un moment de transmission ? 

 

Récemment, nous avons eu à faire dans notre communauté à un jeune garçon qui préparait sa bar Mitvsa dans une synagogue orthodoxe. A un mois du grand événement, on lui dit que sa mère n’étant pas juive, il ne l’est pas non plus et ne peut faire de bar Mitvsa. Les parents se présentent à nous, et on ‘régularise’ le garçon, c’est-à- dire qu’on le convertit. Viens le jour de la Bar Mitvsa, toute la famille paternelle arrive, elle n’a jamais mis les pieds dans une synagogue libérale. La grand-mère, bien que très intimidée, accepte de tenir la Torah pendant glila. Doucement, elle s’est mise à tenir la Torah comme un enfant qu’elle tenait dans ses bras pour la première fois. En larmes, elle a enfin, à plus de 80 ans, pu s’approcher d’un Sefer Torah. C’est un moment que personne dans l’assemblée n’oubliera.