Par Sophie Bigot-Goldblum

 

Cette semaine, nous vous proposons différentes activités pour revisiter l’alef-beit : les lettres de l’alphabet hébraique. 

 

Le sefer haRokeach, un livre d’éthique rédigé par Eléazar de Worms au 13ème siècle, nous raconte un rite bien connu: lorsque les petits enfants apprenaient l’alphabet hébreu, le maître couchait sur une tablette la première lettre. Lorsque l’enfant la reconnaissait, la lettre était enduite de miel, et le petit avait gagné le droit de s’en régaler. Lorsque tout l’alef-beit était connu, on lui apportait un œuf sur lequel était inscrit le verset d’Ezekiel : ‘ je le mangeai et il devint dans ma bouche aussi doux que du miel.’ 

 

Ce récit regorge de symboles dont l’éducateur contemporain peut s’inspirer : la nature progressive de l’instruction, la nécessité d’allier plaisir et apprentissage, et la relation entre le savoir et les sens.  

 

Mais une fois l’alef beit appris par coeur, que reste t-il à en dire?

Petit tour d’horizon de sources et d’idées pour que le goût des lettres s’attarde sur la langue de vos élèves: 

 

Dans la tradition juive, chaque lettres semble doté d’un esprit et d’un caractère qui lui est propre. Une fois réunies, invoquées, inversées, elles possèdent, selon la tradition kabalistique, une véritable force créatrice .

 

Les rabbins attribuaient aux lettres de l’alphabet hébreu une sainteté particulière La déclaration du Psalmiste selon laquelle « Les cieux ont été faits par la parole de Dieu » (Ps. 33 :6) a été interprétée comme indiquant la puissance des lettres, qui forment la « Parole » de Dieu. Bezalel a réussi à construire le tabernacle parce qu’il « savait comment combiner les lettres par lesquelles les cieux et la terre ont été créés » (Ber. 55a). Ces lettres divines ne peuvent pas être détruites, et même lorsque les tablettes matérielles ont été brisées par Moïse, les lettres n’ont pas été brisées, mais se sont envolées vers les cieux. (Pes. 87b). De même, lorsque R. Ḥananiah b. Teradyon a été enveloppé dans le Rouleau de la Loi et brûlé par les Romains, il s’est exclamé en ces termes : “le parchemin brûle mais les lettres montent en flèche” (Av. Zar. 18a).

 

Chaque lettre de l’alphabet se voit attribuer une signification symbolique par le Talmud. Ainsi « alef bet signifie “apprendre la sagesse” (alef binah) tandis que gimmel dalet signifie “faire preuve de bonté envers les pauvres” (gemal dallim) » (Shab. 104a).

Ainsi, Dieu plaça une lettre de son nom, le vav, sur le front de Caïn (Genèse 4:15 ; PdRE 21). Le nom d’Abram a été changé en Abraham par l’ajout de la lettre he (Gen. 17:5; Gen. R. 39:11). Le yod que le Seigneur a pris de Saraï quand son nom a été changé en Sarah s’est plaint au Tout-Puissant que, “Parce que je suis la plus petite de toutes les lettres, tu m’as retiré du nom de la femme juste.” Dieu a finalement apaisé le yod en l’utilisant lorsque le nom d’Osée a été changé en Josué par l’ajout de cette lettre (Gen. 17:15; Num. 13:16; Gen. R. 47:1).

 

 Le nombre total de lettres de l’alphabet, 22, est également important. Le mauvais roi Achab a mérité la royauté pendant 22 ans « parce qu’il a honoré la Torah, laquelle a été donnée en 22 lettres », en refusant de la remettre à Ben-Hadad, roi d’Aram (Sanh. 102b). Une grande importance est donnée aux psaumes qui sont classés par ordre alphabétique (en 119 et 145), tout comme les quatre premiers chapitres des Lamentations. De ces derniers, R. Johanan déclare qu’ils ont été frappés par ce chant funèbre alphabétique, “parce qu’ils ont violé la Torah, qui a été donnée au moyen de l’alphabet” (Sanh. 103b). L’exégèse halakhique tire également des lois importantes des lettres superflues ou manquantes dans la Bible et même des fioritures et autres particularités graphiques.

 

Les 22 lettres de l’alef beit peuvent être un excellent pont, pour la classe, entre cette sagesse traditionnelle autour des lettres et vers la  culture israélienne contemporaine : Victoria Hannah, chanteuse orthodoxe israélienne, mélange rythmes orientaux et interprétation juive ancestrale avec des genres contemporains comme le hip hop et le rap. En 2017, son singel ‘The aleph-bet song’ retrace toutes les lettres de l’alphabet hebreu avec leur voyelles avant de se fondre dans les hoshanot, prières pour la pluie de Sukkot. Victoria Hanna cite la tradition kabbalistique : 

 

« La bouche est un outil de création et chaque lettre est un outil spécifique.  “Quand vous dites toutes les lettres dans l’ordre, vous créez quelque chose dans le monde »”, a-t-elle déclaré lors d’une interview.

 

Au début de la vidéo, on voit Hanna faire des mouvements de la main pendant qu’elle récite l’aleph-bet. Une chorégraphie basée sur les enseignements kabbalistiques qui relient chaque lettre à une partie différente du corps humain. La chanson au rythme entêtant a atteint des millions de vues depuis sa sortie. Ou comment prouver à vos élèves que l’aleif beit peut vous ouvrir les portes du succès!