Par Sophie Bigot-Goldblum

 

Il y a des sujets qu’on préférerait ne jamais avoir à aborder. Mais comment ne pas parler de la  série de violence et de tragédies qui secoue le monde juif en France, aux Etat-unis, en Israël? 

 

Quand l’actualité fait irruption dans la salle de classe, comment y répondre?  Si les tenants et aboutissants de ces événements les dépassent souvent, les enfants n’en sont  pas moins affectés.  Démunis, ils ne peuvent que ressentir – et absorber- les inquiétudes des adultes, sans pour autant avoir les outils pour relativiser et gérer leur stress. 

 

La salle de classe n’est pas un vase clos : les élèves doivent pouvoir sentir qu’ils peuvent, lorsque c’est nécessaire, y exprimer leur angoisses. Et les enseignants doivent savoir comment accueillir cette inquiétude, cette tristesse, et donner à leurs élèves des pistes pour nourrir leurs réflexions et sortir de l’affect, tout en respectant l’exigence de neutralité. Pas une mince affaire… 

 

Pour cet article, nous avons interrogé des éducateurs et éducatrices  ayant dû gérer un drame dans leur établissement, d’autres ayant cherché à honorer la mémoire des victimes de Meron lors de la tragédie survenue lag baomer. 

 

Interrogée après Lag Baomer, une éducatrice new-yorkaise raconte : 

 

« Nous avons rédigé des lettres de condoléances aux familles des victimes, et nous avons entamé une discussion sur qui est approprié ou non de dire quand on est confronté à des gens en deuil » 

 

Et effet, inviter les enfants à rédiger un mot à des victimes, leur montrer  qu’ils peuvent être partie prenante du processus de consolation d’autrui, permet de contrebalancer le sentiment d’impuissance qui peut être ressenti face à un drame.  

 

En profitant de cet événement -distant pour des élèves américains mais néanmoins tragique-, pour puiser dans ce que la tradition juive a offrir aux personnes en deuil, on instille du sens dans nos actions, et on donne aux élèves les outils dont ils pourront se servir si – par malheur- une tragédie venait à frapper leur famille ou leur communauté. 

 

Dans un article publié en anglais par le Centre Lookstein de Bar Ilan – centre de recherches en éducation juive- il est recommandé, à chaque enseignement, de suivre le processus suivant pour aborder les événements antisémites: 

 

  1. S’assurer qu’on est soi même émotionnellement capable de conduire une discussion sur le sujet en question. On ajoutera qu’il relève de la responsabilité des établissements d’offrir à leur équipe le soutien dont ils ont besoin. 
  2. Évaluer, en classe,  ce que savent et ne savent pas vos élèves sur les événements en question
  3. Entamer une conversation : laisser la place aux opinions et ressentis de chacun
  4. Rectifier en douceur les idées fausses.
  5. Prévenir: Aider les enfants à savoir comment se protéger en cas d’événements similaires. – identifiez les adultes à l’école et dans la communauté auprès desquels  ils peuvent aller s’ils ne se sentent pas en sécurité.
  6. Soyez honnête et humble: n’hésitez pas à confier que vous n’avez pas la réponse à une de leur question. 

 

Une éducatrice qui a eu le malheur de perdre un élève, victime d’un crime antisemite nous a confié que ce qui a le plus  de sens pour les élèves fut la création de rituels : ils plantèrent des arbres en souvenir de la victime. . En revenant l’arroser régulièrement, ils étaient invités à se rappeler de ce qui peut encore naître, grandir. Qu’on peut rester en relation avec les disparus à travers la mémoire. Cette école a ensuite intégré dans son curriculum un travail actif sur l’anti-racisme. 

 

En termes de contenu, plusieurs éducateurs interrogés ont fait part de l’intérêt d’introduire des éléments d’espoirs, même dans un cours dédié à un événement difficile.  Heureusement, la tradition juive offre pléthore de sources de consolations. 

Par exemple, la bénédiction juive, aux origines talmudiques (Berachot 54b)  connue sous le nom de Birkat Hagomel est récitée par des personnes qui ont survécu à un épisode traumatisant ou dangereux. Celui ou celle  qui souhaite la réciter est d’abord appelé pour une aliyah à la Torah. Puis, devant toute la congrégation, il ou elle récite la bénédiction suivante:

 

Béni sois-tu, ô Dieu, esprit dirigeant de l’univers, Qui récompense les indignés de bonté, et qui m’a récompensé avec bonté.

 

C’est un moment fort – où une personne remercie publiquement Dieu d’avoir été délivrée en toute sécurité du danger, et la congrégation le remercie.

 

Le Shulchan Aruch (recueil légal du XVIe siècle) remarque que les différentes catégories de personnes que le talmud enjoint à reciter cette bénédiction forment, par acronyme, le mot h’aim, la vie (חיים), comme un aide mémoire du sens profond de cette bénédiction : la gratitude qu’on est appelé à ressentir à faire partie du faisceau des vivants.

 

La position d’humilité que la formulation de la bénédiction réclame des survivants fait écho à la posture de Jacob, qui, inquiet du danger que représente pour lui son frère Esaü,  s’adresse à Dieu avec ces mots : Je ne suis pas digne de toutes les bontés que vous avez constamment montrées à votre serviteur…» (Genèse 32:11)

 

Le traumatisme doit donc être entendu, accueilli, jusque dans sa possibilité d’une régénération , comme l’enseignait le Ochot Tzadikim, un manuel d’éthique ashkénaze du 15eme siècle : 

‘Si je n’étais pas tombé, je ne me serais jamais relevé,

Si je ne m’étais pas assis dans l’obscurité, je n’aurais jamais vu la lumière.’