par Sohie Bigot Goldblum

 

Cette année aura été l’une des plus difficiles pour le monde de l’éducation. La relation élève-enseignant, tout comme l’esprit de communauté au sein des classes ont été  malmenés par la discontinuité pédagogique causée par les confinements successifs. 

 

A l’heure de la levée de ce qu’on espère être le dernier confinement, il est temps de se projeter dans l’après et de construire dès à présent des moyens de pallier les  manques que ces mois de déconnexion entre enseignants et élèves et entre les enfants entre eux, ont causés.  Pour ce faire, nous vous proposons de plonger dans les rites de notre tradition pour célébrer le retour à la salle de classe et notamment d’explorer un rituel juif méconnu: la cérémonie d’initiation au Talmud-Torah.

 

Cette cérémonie, on en trouve la trace dans le Sefer Ha Roqeah’ de Rabbi Elazar de Worms. Le Sefer ha Roqeah (livre du parfumeur) est un guide d’éthique juive pour le grand public écrit durant les Croisades. 

Rabbi Elazar de Worms mentionne une coutume d’initiation au Talmud Torah, entendu comme lieu d’étude pour enfants – qui avait lieu justement à la fête de Shavuot. 

 

Cette cérémonie se tenait tantôt à la synagogue, tantôt à la maison du maître d’école, laquelle servait alors souvent d’école. L’enfant était drapé d’un talit (châle de prière) et placé sur les genoux de son maître, qui lui faisait répéter après lui l’alef beit écrit à l’endroit et à l’envers sur une tablette.

Divers versets bibliques étaient ensuite récités par le maître et l’enfant, et, à la fin, le maître enduisait de miel  les lettres de la tablette que l’enfant devait lécher (coutume à suspendre en temps de pandémie)…

 

Ensuite, l’enfant et le maître récitaient d’autres versets bibliques ou des noms angéliques  inscrits sur un gâteau au miel (Is 50 :4-5) et un œuf dur- que l’enfant mangeait. Cette pratique semble inspirées des versets du prophète Ezekiel (3:3):  Et il me dit: “Fils de l’homme, tu nourriras ton ventre’ et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne”; je le mangeai et il devint dans ma bouche aussi doux que du miel. 4

 

La cérémonie se concluait alors par la récitation d’une incantation contre Potah’, l’ange de l’oubli. En effet, Une légende intrigante du midrash nous raconte que l’enfant, encore dans le ventre de sa mère, apprend toute la Torah à la lueur d’une lampe  lui permettant de voir jusqu’aux extrémités de la terre. Ce n’est qu’au moment de la naissance qu’un ange apparaît et lui impose le serment de vivre une vie juste, puis pose son doigt sur les lèvres  de l’enfant, lui faisant oublier tout ce qu’il a appris.

 

Comme l’explique, Justine Isserles dans sa thèse sur le Maḥzor Vitry : ‘En finalité, cette cérémonie consiste en une série d’éléments mnémotechniques issus de la mystique juive ancienne, permettant à l’enfant « d’ouvrir son cœur » (petiḥat lev) afin de pouvoir comprendre la Torah sans effort. ‘ 

 

Cette année, une rentrée en classe d’un genre un peu particulier advient concomitamment  avec la fête de Shavuot, celle qui célèbre précisément le don de la Torah, de l’Enseignement par excellence. La fête est également marquée par le tikoun leil shavuot, une veille d’étude. 

 

Plusieurs choses sont à noter ici. La première, c’est le lien qui est établi entre le plaisir et l’apprentissage, plus précisément, entre la nourriture intellectuelle et physique. 

 

Si les réglementations sanitaires limitent la capacité de se retrouver autour d’une table en ce moment, l’élément essentiel du cette cérémonie n’est pas à négliger: la meilleure façon d’apprendre, c’est d’y prendre plaisir. Or, la tentation peut être grande, au lendemain d’une longue césure dans l’apprentissage, de vouloir ‘mettre les bouchées doubles’ pour rattraper le retard accumulé. Cette tradition vient nous mettre en garde contre cette tentation : certes, il faut reprendre l’étude avec sérieux, mais il faut avant tout replacer le plaisir en son centre .