Par Faustine Goldberg-Sigal

 

Quand j’avais environ 10 ou 11 ans, ma mère et moi avons décidé de fabriquer notre propre haggadah de Pessah. Un soir après son travail, nous nous sommes retrouvées avec une haggadah basique en main à la librairie du Louvre. En tournant les pages dans un sens puis l’autre et en observant très attentivement le mur de cartes postales, nous avons réfléchi, discuté et choisi ensemble une carte pour illustrer chaque passage. Entre peintures italiennes ou hollandaises, artefacts d’Egypte ancienne, bijoux impériaux et sculptures grecques, nous avons rempli notre panier de ces petits midrashim visuels. Une fois arrivées à la maison et pendant plusieurs semaines, nous avons découpé, décoré, colorié, collé, agrémenté, commenté le texte de ces illustrations et des conversations que nous avions eues. 

 

En fin d’école primaire, la pression de chanter ma nishtana devant tout le monde ou l’excitation de trouver l’afikoman étant retombées, ça avait été la version 2.0 de mon implication en tant qu’enfant dans le rituel. Certes, en tant que parent ou qu’éducateur, on veut toujours que les enfants se sentent impliqués et concernés par leur judaïsme, qui plus est du rituel qui demande leur participation physique. Mais évidemment, cela revêt un sens et une importance toute particulière dans le cadre de Pessah où nous sommes commandés de “se voir comme si l’on était soi-même sorti.e d’Egypte”. 

 

C’est un pas de plus que les autres fêtes. Par exemple, on célèbre Pourim, on commémore l’histoire, mais personne ne nous demande de nous sentir comme si nous avions, nous-mêmes, personnellement, de notre vivant, été sauvés des griffes de Haman. La, il faut s’en sentir objet et même sujet. C’est beaucoup plus fort et beaucoup plus difficile. 

 

Fabriquer la haggadah avec ma mère avait représenté une occasion de m’initier à ce défi. Quelle est la carte postale qui représente le mieux la façon dont je perçois la terreur des dix plaies? Comment représenterai-je mes ancêtres idolâtres? Ce qui est intéressant, c’est les multiples canaux de conversation qu’avait ouvert cet exercice: 

  • Réfléchir pour moi-même
  • En discuter avec ma mère
  • Depuis, lorsque je réouvre la haggadah en question, essayer de retracer pourquoi j’avais choisi telle illustration et me demander si je ferais toujours ce choix actuellement – donc discuter avec mon moi d’il y a 15 ou 20 ans
  • Ma mère et moi avons continué depuis à insérer séparément ou ensemble de nouvelles illustrations dans la haggadah depuis donc cette conversation se poursuit et se renouvelle 
  • Lorsque nous ne manquons pas de sortir ladite haggadah chaque année, elle permet de discuter avec les convives avec qui nous partageons la table

 

L’an passé, nous avons décidé avec mes frères de créer une haggadah familiale. A cause de l’éloignement forcé du premier confinement, et surtout grâce à une plateforme innovante, nous avons pu avoir cette conversation sur support digital. Le site haggadot.com permet de créer sa propre haggadah, seul ou collaborativement. On peut commencer d’un modèle (trois différents proposés : orthodoxe, réformé ou laïc) ou bien à partir de rien. On peut ensuite ajouter des commentaires, textes, illustrations à son gré – soit à partir de leur très riche bibliothèque de ressources, soit par soi-même. Comme malheureusement la plupart de ces ressources sont en anglais, la personnalisation vous permettra d’ajouter des traductions ou commentaires en français (ou autre!). Leurs ressources incluent des commentaires, classiques ou modernes, des graphismes modernes, des références de pop culture, etc. C’est peut-être moins glamour de chercher sur Google Image qu’à la librairie du Louvre – mais c’est mieux que rien et ça présente l’avantage de démultiplier à l’infini les possibilités. Vous pourrez aussi ajouter des photos de famille, par exemple! Vous pourrez aborder des choses que vous avez vécues cette année, ou vous apprêtez à vivre, en tant que communauté ou famille et à propos desquelles Pessah vous donne une perspective singulière. 

 

Vous pouvez initier une haggadah et en partager le lien avec vos élèves, votre famille ou votre communauté pour se répartir la préparation et l’appropriation du rituel. Vous pouvez également commencer cette année et y ajouter des couches ultérieures les années suivantes. Que votre seder se passe sur Zoom et/ou en personne, cet effort collectif de préparation contribuera significativement à impliquer tous les convives dans ce rituel familier, à en régénérer le sens et les implications et à placer des jalons pour une conversation individuelle et collective durable – comme nous sommes enjoints de le faire quant à ce récit fondateur.