Traduit de l’anglais par Faustine Goldberg-Sigal
Le Grand Rabbin Lord Jonathan Sacks zts”l, ancien grand rabbin du Royaume-Uni et du Commonwealth de 1991 à 2013 est décédé shabbat matin 7 novembre 2020. Il était également membre de la chambre des Lords depuis 2009. Il était un éducateur militant pour l’accès au texte de tous les juifs, quel que soit leur âge, leurs opinions et leurs pratiques. Il était également l’incarnation d’un juif engagé dans la cité, tissant sans cesse des ponts entre différents milieux, religions, courants, etc.
Dans les mots qu’a dit sa fille cadette, Gila Sacks, lors de l’enterrement, on entend la part intime du grand homme et la part paternelle de l’éducateur. Nous les avons ici retranscrits et traduits. Que sa mémoire soit bénie.
Je parle aujourd’hui au nom de mon frère Josh, ma sœur Dina et nos familles – et je les remercie de me laisser le faire. Le problème est qu’aujourd’hui est venu trop vite et je ne suis pas prête. Je ne sais pas comment je peux assimiler et résumer ce que mon père a été pour nous – ou commencer à savoir comment le remercier. Cela prendra du temps.
Pour l’heure, je voudrais partager avec vous deux moments des quelques jours qui se sont écoulés qui m’ont aidée à comprendre ce qu’il m’a donné. Le premier était un coup de fil professionnel, sans aucun lien avec mon père. Une collègue et moi discutions de comment, dans le monde, et en politique, il y a des problèmes solubles et des problèmes insolubles. La difficulté est de savoir qu’est-ce qui est quoi. Est-ce que le Covid est un problème soluble? Ou bien est-ce, comme elle le disait, plutôt comme le terrorisme, un problème qu’on ne peut pas résoudre mais qu’il faut gérer? Alors qu’elle parlait je me disais : je ne comprends pas, bien sûr que tous les problèmes sont solubles! Certains sont difficiles, bien plus grands qu’un individu ou même qu’une nation – mais bien sûr, cela va sans dire qu’on peut les résoudre. Comment en serait-il autrement? Et j’ai eu un sursaut de lucidité sur ce que mon père m’avait donné : cette conviction singulière, qu’aucun problème n’est trop grand pour que l’on tente de le résoudre, que les choses peuvent toujours être changées et que les gens peuvent toujours les changer. Cette conviction déterminait tout le reste. Nous blaguions souvent en disant que si vous croisiez mon père dans la cuisine, il vous demanderait certainement de réfléchir à une solution pour l’antisémitisme mondial le temps que la bouilloire bouille. Mais il l’a fait – parce que pourquoi pas? Les problèmes sont là pour qu’on les résolve.
Il est décédé shabbat Vayera, l’endroit de la Torah, qui je crois plus qu’aucun autre, amène cette idée dans le monde : le monde n’est pas juste les choses telles qu’elles sont, mais quelque chose à défier et par lequel être défié. Abraham argumente avec Dieu pour sauver les habitants de Sodome : “le Juge de toute la terre ne ferait-il pas justice?”. Dieu ne résiste pas à ce défi et ne le punit pas. Il ne se contente pas non plus de l’accepter mais il l’invite. C’est une histoire avec laquelle nous sommes si familiers que j’ai oublié à quel point elle est extraordinaire, jusqu’à ce que je la relise hier. Dieu veut que nous défions, que nous changions les choses – c’est ce que mon père nous a transmis. Et tout ce qu’il nous a transmis, il l’a écrit – mais surtout, il nous en parlait pendant que la bouilloire bouillait.
Le second moment était hier matin. J’étais rentrée à la maison de l’hôpital après son décès et suis passée récupérer le dernier livre qu’il a publié, sur des idées qui changent la vie issues de la parasha. J’ai ouvert Vayera et j’ai lu cela : “Abraham a été choisi pour qu’il instruise ses enfants et sa maisonnée de garder le chemin de Dieu en faisant ce qui est juste et droit. Il a été choisi pour être un père. C’est cela que veut dire son nom: Av-raham, un père de multiples nations. Il a été choisi pour être un exemple parental. Comment est-ce possible? A écrit mon père. Abraham abandonne son père et sacrifie presque son fils. Quel sorte d’exemple est-ce que cela? C’est bien l’inverse de ce que l’on attendrait!” Et il explique : “Ce qu’Abraham faisait, c’était introduire dans le monde l’idée d’un individu, que les gens ne sont pas comme on le croyait avant des sujets de l’unité familiale sous le pouvoir du père. Les gens, chacun de manière unique à l’image de Dieu, devaient incarner leur propre identité, pas seulement la continuation d’une lignée familiale. Abraham, comme exemple parental, est le parent qui fait de la place pour que ses enfants puissent être eux-mêmes”.
Lire cela, quelques heures après sa mort, je me suis sentie submergée par son amour. Parce que c’est cela qu’il nous a donné par dessus tout : il nous aimait tellement et ne manquait jamais, jamais, une chance de nous le dire, de nous dire comme il était fier de chaque chose que nous faisions, et surtout de ce que nous étions. Comme il était fier de chaque petit-enfant et de chaque joie qu’il amenait dans son monde. Parce qu’il nous aimait, chacun différemment parce que nous sommes chacun des êtres différents, il nous a donné l’espace pour devenir nous-mêmes, pas lui. Alors je me souviendrai de beaucoup de choses, mais ces deux en particulier : il nous a appris que le monde doit être défié et qu’il n’existe rien de tel qu’un problème insoluble. Et il nous aimait, ce qui voulait dire que nous pouvions devenir les gens que nous sommes – et aucun enfant ne peut souhaiter mieux.
L’ECUJE et la Moishe House Paris République organisent ce dimanche 15 novembre à 19h un hommage virtuel au Grand Rabbin Sacks, en présence notamment du Grand Rabbin de France Haïm Korsia, de Julien Darmon, Dvorah Serrao (Lamorim), David Revcolevschi, Noémie Benchimol, Anna Gourdikian, Anna Klarsfeld (déjà interviewées dans ce blog) et de nombreuses autres personnalités. Merci de bien vouloir vous inscrire sur le lien suivant : https://ecuje.zoom.us/webinar/register/WN_YHDCoyDkTYmLu-E3W1mfdg
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