Par Faustine Goldberg-Sigal

 

Aujourd’hui est le 14 Iyar, qui est depuis l’époque biblique la fête de Pessah Sheni. Nous avons des fêtes rabbiniques – celle-là n’en est pas une. Nous avons des fêtes bibliques, qui viennent en général de l’invitation de Dieu à commémorer un événement marquant ou à célébrer les cycles de la nature et de l’agriculture – et Pessah Sheni n’est pas non plus dans cette catégorie. Pessah Sheni est instituée à la demande d’un groupe d’Israélites qui, s’étant trouvés impurs au moment du premier sacrifice de Pessah en Egypte, n’ont pas pu y prendre part. Ils plaident leur cause à Moïse quelques jours plus tard: 

 

אֲנַחְנוּ טְמֵאִים לְנֶפֶשׁ אָדָם לָ֣מָּה נִגָּרַע לְבִלְתִּי הַקְרִב אֶת־קָרְבַּן ה’ בְּמֹעֲד֔וֹ בְּתוֹךְ בְּנֵי יִשְׂרָאֵל

« Nous avons été rendus impurs par le contact d’un mort, mais pourquoi sommes-nous exclus et, de ce fait, privés d’apporter notre sacrifice réservé à Dieu, à la date fixée, au milieu des fils d’Israël ? » (Nombres 9:7)

 

Cette demande de la base est rare dans le récit biblique. Elle est déstabilisante – parce qu’on sent la douleur, mais aussi une once de houtspa. Par ailleurs, il y a une chance que ces gens pleurent sur des pots cassés : à la différence de l’Islam, le judaïsme n’a pas pour habitude d’offrir de date de rattrapage pour les rituels manqués. Moïse lui-même est destabilisé et suspend sa réponse à celle de Dieu. Surprenament, Dieu accède à leur requête et l’étend même à des gens de générations ultérieures qui seraient dans ce cas, voire à des gens qui ne sont pas impurs mais simplement dans “un long voyage” qui les a prémunis de faire Pessah dans les règles. Volontairement ou non, ce groupe de gens exprimant leur douleur et leur désir de faire partie du peuple et de ses rythmes a créé plus de place pour la participation au sacrifice de Pessah. 

 

Il y aurait beaucoup à dire sur l’idée de seconde chance – et cela a été dit dans de nombreux commentaires rabbiniques. (Vous pouvez accéder à une feuille de sources en cliquant ici.) Pessah Sheni a acquis un nouveau sens dans les milieux orthodoxes Israéliens depuis quelques années. Reprenant ce même plaidoyer “לָמָּה נִגָּרַע?”, “pourquoi serions-nous exclus?”, différentes associations israéliennes ont invités personnalités politiques et religieuses à faire de cette journée une journée de dialogue avec la communauté LGBT+ orthodoxes. A travers des conférences, des ateliers, des récits, des pièces de théâtre, des formations, etc. différentes associations ont exprimé le désir de jeunes (ou moins jeunes!) juifs et juives LGBT+ de trouver leur place dans les communautés où ils ont grandi – et sont souvent chassés par la suite. 

 

Pour ouvrir cette conversation – ou du moins réflexion – dans le milieu éducatif juif français et francophone, où les associations LGBT+ ne sont malheureusement pas (encore) aussi structurées qu’en Israël ou dans les pays anglo-saxons, on peut s’appuyer sur des initiatives d’outre-Manche. 

 

En 2018, le grand rabbin orthodoxe du Royaume-Uni, Ephraïm Mirvis, a publié, avec l’aide de l’association Keshet UK, “The Wellbeing of LGBT+ Pupils – A Guide for Orthodox Jewish Schools”, “Le Bien-être des élèves LGBT+ – Un guide pour les écoles juives orthodoxes” (accessible gratuitement en anglais en cliquant ici)

 

Dans son introduction il écrit:

“Les jeunes gens LGBT+ sont particulièrement vulnérables à se faire brutaliser et blesser, comme les enfants de parents LGBT+. Il est d’une grande importance que toutes les équipes aient les connaissances, compétences et la confiance de répondre aux besoins de ses enfants et de leurs familles, en soutenant et en guidant dans le cadre de la Torah. Les écoles orthodoxes, ont, de manière compréhensible, peiné à traiter les questions LGBT+. Si difficile soit la tâche, et elle l’est exceptionnellement, je crois que ne pas s’y confronter du tout est une abrogation de notre responsabilité envers Dieu et nos enfants. Nous sommes, bien sûr, au fait des issurim (prohibitions) de la Torah, y compris Vayikra/Lévitique 18:22 (ndlr : la prohibition du sexe anal entre deux hommes), mais lorsque des brutalisations homophobes, biphobes et transphobes sont faites avec des “justifications” des textes juifs, un hiloul hashem (profanation du nom de Dieu) majeur est causé. Nous devons être toujours attentif à la mitsva “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” (Lev. 19:18), considérée par Rabbi Akiva comme le principe le plus important de la Torah.”

 

Après cette introduction saisissante, le guide fournit des ressources très concrètes pour aider les équipes pédagogiques des écoles juives orthodoxes à faire face à cette mission. (En vérité, ce guide peut aussi être utilisé dans l’éducation informelle, au-delà du mouvement orthodoxe voire au-delà des contextes éducatifs.) Il inclut: 

  • Des études de textes par le Grand Rabbin Mirvis sur les notions de Lo ta’amod al dam rei’echa (la non-assistance à personne en danger), de lashon hara (la médisance, apparentée au meurtre dans la loi juive) et de middot (vivre une vie guidée par l’éthique juive). 
  • Des rappels légaux des obligations des éducateurs selon la loi du Royaume-Uni
  • Des statistiques quant aux risques physiques et psychiques encourus par les enfants et adolescents LGBT+
  • Des glossaires sur les notions liées aux identités de genre
  • Des conseils pour soutenir les enfants révélant leur homosexualité à l’école et leurs parents, notamment sur les questions de confidentialité 
  • Des récits personnels de gens qui ont souffert en raison de leur identité LGBT+ dans des écoles orthodoxes
  • Des guides de conversation pour contrer les aggressions contre les enfants LGBT+ venant d’autres enfants, ou du personnel pédagogique

 

Selon le Grand Rabbin Mirvis, au-delà de cette liste, ce guide est l’affirmation que des individus et des groupes avec des croyances fondamentalement différentes sur des sujets d’importance, peuvent reconnaître leur humanité et dignité respectives. De fait, avec ce guide, l’organisation Keshet a pu former des milliers d’éducateurs d’écoles orthodoxes, mais aussi du Bnei Akiva ou de Moishe House par exemple à mieux inclure les enfants LGBT+ ou de parents LGBT+. L’une des réussites de ce guide est d’avoir voulu et réussir à atteindre des audiences a priori réticentes au sujet. L’organisation Keshet est maintenant sollicitée par des organisations anglaises non-juives qui travaillent sur des sujets d’inclusions très variée pour transmettre leurs valeurs et méthodes de dialogue respectueux – ce qui est certainement un kiddoush hashem, une action qui fait honneur au nom de Dieu et ceux qui s’en réclament.