Il y a un an, Anna Gourdikian était attachée de presse et Anna Klarsfeld était plume pour un ministre. Et puis elles ont chacune rencontré le texte juif – puis se sont rencontrées, et ont créé Ladaat. Chaque semaine, elles étudient ensemble puis animent une étude de la parasha pour un groupe d’amis et d’amis d’amis. L’enthousiasme du début, de leur part et de celles de leur groupe, ne fait que grandir et les soutiens se multiplient. Nous les avons rencontrées. 

 

Faustine Goldberg-Sigal : Comment vous êtes-vous rencontrées et quel est l’acte de naissance de Ladaat?

Anna Gourdikian & Anna Klarsfeld : Notre première rencontre a eu lieu autour d’une page de Guemara. Nous suivions un cycle d’étude avec Pilpoul, et nous avons étudié ensemble ce soir-là. Les échanges étaient riches et intéressants, ce qui nous a donné envie de continuer à nous parler et à nous écrire. L’idée de créer quelque chose ensemble est rapidement devenue une évidence et nous avons lancé Ladaat au bout de quelques semaines à peine. On se dit souvent d’ailleurs qu’on ne se souvient plus vraiment de la première action qui nous a amené à organiser ces sessions d’étude. Nous avions simplement la même envie, partager notre passion de l’étude des textes juifs. Notre premier cours a eu lieu à la Moishe House de Beaubourg où nous avons inauguré nos sessions en démarrant l’étude du livre de l’Exode. Une soirée mémorable pour nous puisque la semaine prochaine aura lieu notre 18ème cours. 

 

FGS : Quel vide remplit Ladaat? Qu’est-ce vous proposez et qui peut participer?

AG & AK : Nous proposons chaque semaine une étude de la paracha en havruta (binôme), à travers le prisme d’un thème donné. Par exemple, cette semaine, nous avons étudié Emor sous l’angle du rapport au temps dans le judaïsme. Nos cours s’adressent plutôt à de jeunes adultes : c’est le vide que nous avons voulu combler. Il existait en effet déjà des cadres d’étude pour les jeunes à Paris, mais principalement focalisés sur le Talmud. De l’autre côté, les cours de Torah proposés par certaines synagogues nous semblaient attirer un public plutôt âgé. Nous avons souhaité permettre à des jeunes de se réapproprier les textes les plus anciens de notre tradition : back to basics ! Les participants ont des niveaux très variés, il n’y a pas de prérequis. Certains ont suivi une scolarité en école juive, quand d’autres étudient pour la toute première fois. L’objectif, c’est vraiment de donner accès au texte au plus grand nombre possible. Et la diversité des backgrounds fait la richesse des échanges !

 

FGS : Comment a été reçu votre offre pour l’instant? Par les participants? Par d’éventuels partenaires?

AG & AK : Nous avons d’abord été suivies et soutenues par nos amis et nos connaissances, puis petit à petit, de nouvelles personnes ont commencé à venir à nos cours. Soit parce qu’ils avaient entendu parler de nous par bouche à oreille, soit parce qu’ils nous avaient trouvées sur les réseaux sociaux. Nous accueillons souvent de nouvelles personnes au sein de Ladaat, mais nous avons aussi nos étudiants fidèles qui reviennent chaque mercredi et qui voient le récit biblique évoluer de semaine en semaine avec nous. 

Le principe d’étudier en havruta est très apprécié et nous avons beaucoup de retours qui vont dans ce sens. La réflexion qui naît d’une discussion sur le texte est un exercice dont nous avons peu l’habitude dans nos quotidiens remplis par toute sorte de préoccupations. Qu’il s’agisse de ceux qui connaissent déjà bien les textes ou des novices, chaque session est une découverte. 

Pour ce qui est des partenaires, nous sommes gracieusement accueillies chaque semaine par l’ECUJE (Espace Culturel et Universitaire Juif d’Europe) et adorons cet endroit qui a une merveilleuse histoire. Nous remercions chaleureusement Gad Ibgui, le directeur de l’établissement de nous permettre de nous retrouver. Le rabbin Nissim Sultan nous soutient aussi depuis le tout début. En somme nous avons la chance d’être bien entourées ! D’autres collaborations sont en cours et nous espérons pouvoir proposer de nombreux autres projets bientôt.

 

FGS : Quels sont vos projets à venir ? 

AG & AK : Nous avons démarré un podcast hebdomadaire sur la paracha : nous souhaitons le poursuivre et l’enrichir, pour permettre à tous d’avoir un « shot de Torah » par semaine. Nous avons également commencé à produire des vidéos sur des thématiques actuelles, comme l’anxiété, la gratitude, ou encore l’amour au temps du confinement… Nous voulons continuer à en tourner, sur des sujets liés par exemple à la justice sociale, à l’environnement, à l’alimentation… Ce qui nous passionne, c’est la façon dont les textes de la tradition juive peuvent éclairer de grandes problématiques contemporaines. Nous sommes en train de développer un site Internet, pour pouvoir diffuser ces contenus le plus largement possible, au-delà des réseaux sociaux. Enfin, nous aimerions organiser un grand évènement à l’automne, si la situation sanitaire le permet… On vous tiendra informés !

 

FGS : Si quelqu’un veut se mettre à une pratique autonome d’étude de texte, comment conseillez-vous de commencer?  

AG & AK : D’abord, commencez par des sujets qui vous intéressent ! Sur le site américain Sefaria, il est possible de faire des recherches par thématique : en trois clics, vous avez accès à une multitude de sources sur le thème de votre choix, c’est assez incroyable ! Par exemple, en ce moment, de nombreuses personnes font des recherches sur des thèmes liés à la santé, aux épidémies, ou encore au rapport à l’hygiène dans le judaïsme.

Une fois que vous avez repéré un texte qui vous intéresse, lisez-le attentivement, plusieurs fois d’affilée, en vous posant le plus de questions possibles dessus : pourquoi tel mot est utilisé, comment telle tournure peut être interprétée… L’idéal, bien sûr, étant d’étudier en havruta, pour partager ses réflexions et surtout ses questionnements sur le texte.

Si vous ne souhaitez pas explorer un sujet en particulier, vous pouvez aussi tout simplement choisir un livre du Tanakh, ou encore un traité du Talmud ou un recueil de midrash, et vous y atteler en y allant petit à petit. Des livres courts comme celui de Ruth peuvent être intéressants pour débuter : vous pourrez les couvrir entièrement en peu de temps, ce qui est assez satisfaisant ! Autre idée : les Pirké Avot – les Maximes des Pères – qui abordent des sujets éthiques passionnants, d’une façon plutôt abordable. En plus, elles sont traditionnellement étudiées pendant l’Omer, donc c’est justement le moment de s’y mettre !

 

Après des études de relations internationales à Moscou (et un tour du monde en solo!), Anna Gourdikian vit actuellement à Paris où elle travaille comme consultante en communication. Passionnée de judaïsme, elle a activement participé à la vie communautaire lors de ses études et s’engage aujourd’hui pour rendre l’étude des textes juifs accessibles à tous. 

Anna Klarsfeld est diplômée de Sciences Po. Après avoir travaillé quelques années dans le secteurs des politiques publiques, notamment comme plume d’un ministre, elle se consacre en ce moment aux études juives, notamment à travers Ladaat. Elle aime explorer comment les textes et traditions du judaïsme peuvent éclairer les grands enjeux contemporains.