Par Claire Dahan
Lundi soir, à l’occasion de Yom Hashoah, a eu lieu un incident majeur dans la communauté. Comme vous le savez, ce jour est un moment de commémoration important qui rend hommage aux victimes et donne la parole aux derniers survivants. Puisque les rassemblements physiques sont impossibles en cette période de confinement, mais qu’iI était important de maintenir le devoir de mémoire, des représentants de la communauté, dont Gabriel Abensour, ont organisé un rassemblement virtuel via la plateforme zoom lundi soir.
Mais ce soir-là, la technologie nous a montré ses limites et nous a rappelé que nous devons être extrêmement vigilants lorsqu’elle pénètre dans nos maisons. En plein témoignage de Myriam Gross sur un sujet aussi crucial que son expérience de survivante, la conférence virtuelle a été victime d’une attaque de hackers et des images pédopornographiques d’une extrême violence sont subitement apparues à l’écran pour perturber la cérémonie. Des images violentes, crues et choquantes, interdites et condamnables par la loi.
Une plainte a été déposée et elle suit son cours, mais les participants à cette réunion zoom ainsi que les nombreuses personnes qui ont vu la retranscription en direct sur les réseaux sociaux restent choqués. Vous pouvez aisément imaginer les répercussions psychologiques que ces images peuvent avoir sur la personne interviewée, les participants, les spectateurs à distance et les organisateurs de la soirée, même à travers un écran. Je précise que parmi les personnes ayant vu ces images, il y avait des enfants et des adolescents. Une cellule d’écoute psychologique a été mise en place immédiatement par l’organisateur de l’événement, mais ces images représentent un trauma psychique car elles arrivent par surprise, dans un contexte totalement inapproprié, comme aurait lieu une attaque en pleine rue.
Et un trauma génère toujours des dégâts psychologiques. De la sidération d’abord, comme dans tout traumatisme psychique, qui empêche de réagir rapidement et d’éteindre la réunion zoom ou même simplement notre écran, tellement on ne s’y attend pas. Une sidération qui nous paralyse quelques secondes qui semblent interminables, sans qu’on puisse faire quoi que ce soit. Du dégoût devant des images violentes à caractère sexuel et touchant des enfants, donnant envie de vomir. De la colère de voir l’événement sali et dégradé par le caractère pornographique des images. De la tristesse de se sentir souillé lors d’un évènement qui signe notre profonde identité juive. De la culpabilité d’avoir assisté à l’événement avec nos enfants, comme si on les avait emmenés au mauvais endroit et au mauvais moment. Le sentiment d’impuissance de ne pas avoir pu éviter que cela se produise. L’impression d’avoir été exposé alors qu’on se sentait en sécurité dans notre salon avec notre famille.
Alors que faire ? S’arrêter de célébrer les dates qui sont tellement importantes ? Ne plus profiter des avantages de la technologie, qui rendent le confinement un peu moins lourd à porter ?
Alors qu’il y a à peine un mois, zoom était un outil réservé aux professionnels, depuis le confinement l’outil s’est tellement vulgarisé, que même nos enfants y ont facilement accès. Cette plateforme permet de réunir à distance et c’est une bonne chose que de maintenir le lien. Mais ce qui s’est passé hier soir fait réfléchir à l’utilisation de ces outils et aux risques auxquels on s’expose par leur intermédiaire. Plusieurs choses me semblent importantes.
D’abord, il faut connaître le mode d’emploi de ce que nous utilisons, comme lorsqu’on prend soin de lire la notice d’un médicament ou d’un appareil électroménager potentiellement dangereux. Et se rappeler que si ces outils nous permettent de créer une autre forme de lien, ils doivent toutefois appeler à une grande vigilance. Bien souvent, nous ne maîtrisons pas suffisamment tous les paramètres des applications que nous utilisons alors qu’il est fondamental de se protéger.
Ensuite, face aux attaques, qu’elles soient virtuelles ou réelles, il nous faut apprendre à développer une résilience émotionnelle, et c’est précisément ce qu’a fait Myriam Gross ce soir là, en réaction à l’attaque. Lorsque les organisateurs ont pu intervenir pour interrompre la session, puis la redémarrer, elle a repris la parole et a continué son témoignage, avec autant d’authenticité et d’engagement. Plus tard, lorsqu’elle a été interrogée sur la manière dont elle a vécu l’intrusion de ces images, elle a dit : « Les antisémites sont des salauds. Oublions ce que nous avons vu et continuons de l’avant ». Je la trouve formidable d’avoir réagi de cette manière et je ne saurais donner de meilleur exemple pour expliquer ce qu’est la résilience émotionnelle. C’est ce qui consiste à se dire : « Je ne suis pas maître de cet évènement douloureux mais je suis maître de ce que je veux en faire. Et cet évènement n’aura pas raison de moi car je décide que je veux continuer à faire ce qui a du sens pour moi, à défendre mes valeurs et à véhiculer mon message». C’est d’ailleurs ce que je ressens à chaque fois que j’écoute des survivants, cette formidable capacité à se relever et à crier haut et fort qu’ils ont fait le choix de continuer à vivre.
Enfin, se rappeler que la résilience n’est pas innée mais qu’elle se travaille, et heureusement !
Ressentir des émotions violentes après avoir vu ces images est normal, les revoir cent fois dans notre tête et à n’importe quel moment est normal aussi. Ce n’est pas parce que ces images sont « sur écran » qu’elles n’en sont pas moins violentes et envahissantes. Car elles agissent comme une véritable agression et font effraction en nous, comme si nous venions d’être frappés ou qu’un objet lourd nous tombe sur la tête. Et il se peut même que physiquement, nous éprouvions cette sensation de lourdeur et de malaise, parce que les émotions se ressentent d’abord et avant tout dans le corps. Alors parfois, il sera possible d’aller de l’avant tout seul, mais on peut aussi se faire aider pour mettre des mots sur ce que nous avons ressenti, surtout si l’événement nous renvoie à d’autres traumatismes ou à d’autres choses douloureuses. Se faire aider et en parler à un proche ou à un professionnel permet d’évacuer la charge émotionnelle qui nous tombe dessus et qui peut devenir complètement envahissante.
Être fort ce n’est pas se relever automatiquement et tout de suite, mais c’est pouvoir prendre le temps qu’il faut pour identifier ses émotions et les verbaliser. Je pense qu’il n’y a pas de résilience innée, mais ce sont tous les évènements inconfortables de notre vie, graves ou moins graves, qui nous permettent à chaque instant de nous construire et de nous renforcer. Nous ne pouvons que nous inspirer de la façon dont se gère l’épisode désastreux de lundi soir pour être plus résilients : Myriam Gross a continué son témoignage sans baisser les bras, les organisateurs ont lancé une plateforme d’aide psychologique en quelques heures et une personne a pu monter la vidéo de sorte à couper le contenu violent.
Finalement, nous avons décidé que ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts et je souhaite que tout le monde puisse retrouver ses repères et continuer à célébrer les choses importantes, même à distance. Bon confinement à tous et à toutes !
Claire Dahan est psychologue clinicienne psychothérapeute et également coach professionnelle certifiée. Elle vit et exerce à Paris. Elle écrit, entre autres, dans son blog “Confidences de ma Psy” consultable en cliquant ici.
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