Ecrit par Tzuri Hasson, traduit de l’anglais par Faustine Goldberg-Sigal
J’ai récemment lu l’excellent article “Éducation juive et couples mixtes : le pouvoir sous-estimé des grands-parents” par Faustine Goldberg-Sigal, l’une de mes co-autrices sur ce blog de Jeducation World. L’article parle de mariages mixtes, un sujet intensément débattu parmi les chercheurs, éducateurs, individus privés, organisation religieuses et même gouvernementales (ndlt: en Israël). Les mariages mixtes ont sans nul doute transformé significativement le peuple juif et le judaïsme contemporain, et vont continuer de le faire dans les années à venir. Le sujet est moins pertinent ici en Israël, où la plupart des citoyens sont juifs et qu’il existe un conflit avec la plus grande minorité non-juive du pays. Il est par contre beaucoup plus d’actualité en diaspora, où le taux de mariages mixtes peut atteindre jusqu’à 70% (selon des données de l’Agence Juive) – un nombre qui devrait nous alerter en tant qu’éducateurs/rices juif/ves.
Dans l’article, Faustine ne traite pas les causes ou effets des mariages mixtes et de l’assimilation, ni comment on pourrait les prévenir si on le souhaiter. Son approche est d’accepter la réalité et de chercher la meilleure manière de travailler avec. Elle suggère deux chantiers. Le premier est d’encourager l’ouverture requise pour dépasser le tabou du peuple juif quant aux mariages mixtes. Le second chantier – central – serait de s’appuyer sur et de soutenir les grands-parents lié aux traditions juives, qui pourront transmettre à leurs petits-enfants un amour pour lesdites traditions. Selon cet article, si nous pouvions ménager de la place dans la conscience collective communautaire pour ce rôle des grands-parents, nous réussirions à maintenir la prochaine génération de juifs.
Avant que je ne poursuive avec mon opinion sur ces suggestions, je voudrais partager mon lien personnel à ce sujet. Comme je l’ai écrit par le passé, je suis en cours de formation pour devenir shaliach (ndlt: envoyé de l’Agence Juive en diaspora) et étudie donc la diaspora intensément. Le sujet des mariages mixtes, les problèmes qui existent et comment y faire face émergent souvent lors de nos réunions. D’un point de vue personnel, ma femme, qui est venue en Israël depuis les Etats-Unis, est la fille d’un mariage mixte : sa mère juive a épousé un homme catholique. En outre, ma belle-soeur a épousé un chrétien – se conformant aux statistiques.
De manière générale, je trouve l’idée de Faustine excellente. C’est une idée innovante qui propose une approche créative et réaliste du sujet. Elle regarde la réalité en face et au lieu de se plaindre, de cherche à dissuader ou d’offrir une solution unique et spécifique, elle propose une idée universelle qui peut être appliquée à de nombreuses communautés et foyers de couples mixtes qui sont proches de grands-parents impliqués dans le maintien de l’étincelle juive de la famille.
En dépit de cela, à mon avis, les recommandations de Faustine présentent de sérieux soucis. D’abord, lever le tabou sur les mariages mixtes, dont elle convient que ce serait difficile, serait pour moi problématique. Le tabou, tel qu’il se manifeste actuellement, dissuade de nombreux juifs d’épouser des non-juifs et est un signal important que quelqu’un se considère comme membre de la communauté orthodoxe, même s’il/elle ne respecte pas toutes les mitsvot (ndlt : commandements). Le tabou est l’un des facteurs principaux qui retienne certains juifs de chercher un partenaire non-juif. En contraste, dans des communautés libérales où le tabou s’est relativement dissolu, on observe que le phénomène d’assimilation explose. Ainsi, si en tant que communauté, nous exprimions l’idée que le mariage mixte n’est pas une chose si terrible et qu’il ne pose pas de problème pour le futur juif, alors épouser un non-juif ne serait plus perçu comme un souci et ne serait plus empêché.
Nous devons aussi garder à l’esprit que les grands-parents ne sont pas toujours des figures fiables en matière de transmission de tradition. Il est très possible que les affirmations de Faustine soient véridiques concernant la France, où vivent beaucoup plus de juifs traditionalistes et il y a de fortes chances que les grands-parents aient maintenu et transmis joyeusement leur judaïsme à leurs petits-enfants moins engagés. Néanmoins, dans le reste des pays de diaspora, la situation est souvent différente : le processus d’assimilation a commencé beaucoup plus tôt, et l’idée de juifs traditionalistes soucieux du judaïsme et de sa pérennité est plus limitée. Dans le cas de mon épouse, la faible quantité de savoir juif qu’elle a reçu venait seulement de son arrière-grand-mère, qu’elle a eu beaucoup de chance de connaître. Cette petite quantité n’était pas grand chose : elle ne savait pas que Pessah durait huit jours avant d’atteindre la vingtaine. De même, le seul savoir juif que ses neveux et nièces dont le père n’est pas juif vont recevoir de leurs grands-parents est le souvenir de dîners dehors et un cadeau pour Hanouka.
Il faut ajouter que l’idée de définir le judaïsme par le ressenti personnel est dangereuse – au moins aux yeux des juifs observant de la halacha et qui croient en la matrilinéarité de la transmission juive, liée à une transmission biologique de motifs spirituels faisant partie de la tradition et religion juives. Les voix qui appellent à rompre cette connexion compromettent ces traditions spirituelles et leur possibilité de survie.
La lutte contre l’assimilation est ardue, souvent échouée, mais cela ne veut pas dire que l’on doive se résigner à cette situation. En dépit de mes difficultés quant aux arguments de Faustine, je crois que ses idées ont beaucoup de mérite et devraient être examinées. Je crois seulement qu’elles devraient être mises en places de manière très précautionneuse de sorte à ne pas envoyer un message qui pourrait nuire à la tradition juive en rompant un tabou qui, dans une large mesure, nous protège. Je soutiens l’approche de Faustine de ne pas repousser les couples mixtes ou de les traiter comme perdus, mais plutôt de les rapprocher pour qu’ils puissent revenir comme juifs halakhiques de plein droit et non seulement des gens qui se “sentent juifs”. Nous devons trouver une façon de le faire sans envoyer le message qu’il est acceptable de se marier avec non-juifs. Bien sûr, je me rends pleinement compte que c’est un sujet complexe et sensible qui doit être approché précautionneusement.
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