Par Faustine Goldberg-Sigal
J’ai rendu visite la semaine passée à mon grand-père qui vient de déménager dans une maison de retraite à Jérusalem. A 95 ans, il s’est cassé le col du fémur et son quotidien est depuis devenu si complexe que ses enfants préfèrent le savoir entouré en continu. J’y étais avec mon neveu de 3 ans et demi, qui est cette année en première section de maternelle. Ari est un enfant vif, sociable et généralement joyeux mais ce que j’ai vu entre lui et mon grand-père la semaine dernière était assez bouleversant.
Contrairement à certains adultes, Ari n’avait aucune gêne vis à vis de mon grand-père très affaibli : il insistait pour lui faire des bisous, lui expliquer la catastrophe de la disparition des dinosaures – et aussi lui demander s’il allait bientôt mourir en ajoutant “mais tu sais c’est pas grave, on va tous mourir comme mes ancêtres et les dinosaures”. Mon grand-père peine beaucoup à trouver ses marques dans ce nouveau quotidien mais Ari le faisait beaucoup sourire, rire et s’exclamer en yiddish (“a yingaleh”!). Pendant les heures passées à la maison de retraite, il a aussi raconté son livre des dinosaures à Evelyne, une autre dame qui y vivait et qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam – et qui ne parlait pas un mot de français, puis a joué avec elle au memory.
La chaine israélienne Kan 11 a diffusé en hiver dernier une série documentaire appelée 80+4. Cette récit filme un projet qui a eu lieu dans une maison de retraite israélienne (“diyour mougan”) où, durant 6 semaines, 10 enfants de 4 ans ont passé leur journées avec 10 résidents de la maison de retraite, en compagnie de leur ganan (jardinier d’enfant) Gil. Le projet est coordonné avec le Dr. Yoram Maaravi, un médecin gériatre de l’hôpital Hadassah qui teste l’évolution de l’état physique, mental et cognitif des personnes âgées avant, pendant et après l’expérience.
L’effet sur les personnes âgées est quasi immédiat. Dès la première minute, par des choses aussi anodines que de lire une histoire, les personnes âgées qui souffrent d’isolement et de perte d’estime de soi, se sentent utiles et demandés. Les enfants se jettent assez spontanément dans leur bras, alors que l’une des souffrances des personnes âgées est le manque de démonstrations d’affection, verbales mais surtout physiques. Le ganan leur lance de nombreux défis cognitifs de mémoire ou des défis sportifs. Les personnes âgées sont motivées par leur envie de ne pas décevoir les enfants auxquels ils se sont attachés, le sentiment d’appartenance à une équipe – et on voit que beaucoup des défis moteurs d’un jeune enfant, par exemple sur l’équilibre, sont voisins de ceux d’une personne âgée à l’équilibre fragile. Les enfants aident les personnes âgées à dédramatiser leur petits tracas et inconforts du quotidien, comme des petites douleurs articulaires ou le fait de porter un appareil auditif. Et lorsque certaines des personnes âgées vivent des drames (un conjoint dépendant, un fils malade dans un autre pays auquel on ne peut pas rendre visite), les enfants offrent de la joie et de l’empathie.
Il faut aussi noter que ces juifs nés au premier tiers du XXe siècle ont rarement eu la chance de fréquenter une école maternelle, d’avoir une enfance heureuse – ou une enfance tout court comme certains le rappellent. Ils se réjouissent de l’opportunité de réparer ce manque à un âge avancé – et en profitent pour partager des histoires de leur vie d’enfant avec les petits. Que ce soit en expliquant le fonctionnement d’un tourne-disque, en les initiant à la philatélie- ils trouvent dans les enfants une oreille attentive. Plus encore : les enfants voient en eux des modèles ou des “magiciens” comme ils le disent parfois.
La dépression est endémique pour les personnes âgées – et ce groupe ne fait pas exception. Au début de l’expérience, la plupart des pensionnaires n’ont pas d’attente envers leur vie, si ce n’est qu’elle finisse aussi confortablement que possible, voire n’ont plus goût à la vie, si bien que certains évoquent clairement des pensées suicidaires. Les enfants amènent de la joie, du sens et de l’espoir dans leur quotidien. Ils terminent l’expérience confiants que l’avenir peut leur amener des surprises joyeuses et qu’ils ont encore des choses à faire et à apprendre. En outre, les enfants permettent aux personnes âgées de créer un lien entre elles. Bien qu’ils habitent dans le même bâtiment, ils n’avaient jamais eu de relation profonde et se réjouissent tous d’avoir eu la chance de se faire des nouveaux amis à un âge si avancé. A la fin de l’expérience tous se disent heureux et rajeunis. Peretz, l’un des pensionnaires, assure que si toutes les personnes âgées pouvaient vivre ce qu’ils ont vécu, l’espérance de vie rallongerait de 10 ans en Israël. Dans la suite de la série, quand certains des pensionnaires traversent des drames, comme des deuils, l’ensemble du groupe les soutient et les entoure.
L’effet sur les enfants est également remarquable et durable – bien qu’il ne soit pas l’enjeu principal de la série. Il y a d’abord tous les apprentissages du quotidien: qu’est-ce qu’une radio, comment dessine-t-on un portrait, etc. mais ces derniers auraient sans doute pu avoir lieu dans d’autres circonstances. Les personnes âgées se réjouissent de voir les enfants progressivement “s’ouvrir”. Peretz remarque par exemple que les enfants sont arrivés le premier jour un peu timides et réservés et qu’il les a vus gagner en assurance. Cela est sans doute attribuable à l’amitié qui se tisse entre les générations mais je pense que cela a aussi beaucoup à voir avec le sens et la joie que les enfants trouvent dans cette rencontre. Il y a par exemple une scène très touchante où trois enfants remarquent qu’Ida, 93 ans, a oublié son déambulateur et décident de le lui apporter. Ils font à peu près la même hauteur que l’objet donc peinent à réussir à le déplacer du premier coup. Le fait de remarquer cet oubli et de mesurer son impact sur Ida est une démonstration d’empathie pas anodine pour des enfants si jeunes. En outre, le fait de chercher et de trouver cette solution à plusieurs est aussi un accomplissement pour des petits enfants.
Il y a également une petite fille qui vit avec ses parents qui ont fait leur alyah en Israël et n’a donc pas de grands-parents avec elle. Elle tisse avec Ida une relation très forte et la mère se réjouit que sa fille aie trouvé une grand-mère de substitution.
Le Dr. Maaravi explique que la séparation des personnes âgées de la vie quotidienne dans les sociétés occidentales est une dérive. Pour lui, ce n’est pas naturel que les générations ne puissent pas échanger – et c’est une grande perte mutuelle. Les personnes âgées sont littéralement soignées par la présence des enfants et ces derniers bénéficient également de l’amour, du temps, du savoir, de l’expérience, etc. des aînés. Cette série m’a fait beaucoup pleurer, beaucoup rire et beaucoup penser au fameux אַל תִּקְרֵי ״בָּנָיִךְ״ אֶלָּא ״בּוֹנָיִךְ״ (“Ne lis pas “tes enfants” mais “tes bâtisseurs”) du traité de Talmud Berachot 64a. Les enfants construisent leurs aînés et les aînés permettent aux enfants de construire. Le ganan Gil leur dit au moment de la séparation “je savais que chaque enfant a besoin d’un adulte qui croit en lui, mais j’ai appris cette semaine que chaque adulte a besoin d’un enfant qui croit en lui” – et 20 paires de mains, avec des fossettes ou des rides l’applaudissent.
Série accessible en streaming gratuit (en hébreu) sur le site de la chaîne Kan 11 en cliquant ici
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