Je m’appelle Tali Fitoussi, et voici mon parcours de juive orthodoxe pratiquante qui tente de rester dans un contexte consistorial.
Avant le collège, l’éducation religieuse est déjà genrée : mon petit frère est sollicité tous les shabbatot pour aller à la synagogue, les filles n’y sont pas encouragées et cela me parait normal. Je suis avec plus ou moins de distance ses avancées : apprentissage des cantilations, puis ses différentes montées à la torah : maftir, haftara et enfin parasha. A 12 ans arrive ma bat mitsva alors que je suis au collège. Aucun dispositif n’est proposé à la synagogue pour que je puisse fêter cette étape : pas de buffet de célébration après l’office, pas d’apprentissage ni de préparation. Mes parents me proposent de faire un discours dans une salle, si je le désire. J’accepte, mais c’est un discours sioniste et non religieux que je prononcerai.Mon frère à l’inverse quelques années après se voit proposer une formation 6 mois à l’avance, il monte à la Torah, apprend sa paracha, donne un buffet à la synagogue.
A cette époque, étant en école juive je suis attirée par la Guemara, qui n’est pas enseignée aux filles. Je demande pourquoi on me répond que ce n’est pas des textes de femmes, qui sont plus émotionnelles, moins enclines à comprendre et apprécier la Guemara. Mon envie d’apprendre ne tarit pas, et en terminale, je m’intéresse aux séminaires proposés pour les filles. Mon école fait même venir des représentantes de plusieurs séminaires. Seulement, aux hommes sont proposées des études qui semblent sérieuses et plurielles, les séminaires de filles proposent avec fierté de devenir de bonnes épouses et mère juives. Ces séminaires sont généralement localisés en Israël. Déçue, je me résigne à poursuivre mes études sans cette interruption.
Pendant mes études, je m’engage dans plusieurs associations, notamment une dont le principe était de se rassembler toutes les semaines pour faire des cours de torah par les jeunes pour les jeunes sur des thèmes très libres. J’ai adoré le principe. J’ai donc proposé rapidement de faire une dracha – un cours. On me dit non. La tsniout (ndlr: modestie, bienséance, décence) interdirait aux femmes de faire cours devant un public mixte. On me propose à la place d’organiser des cours de femmes pour les jeunes femmes uniquement.
Quelques mois passent, vient Simha Torah à la synagogue, comme tous les ans, les femmes regardent les hommes danser en jetant des bonbons et en tapant des mains. Cette année-là, je propose de prendre un sefer Torah à l’étage des femmes afin de danser autour nous aussi. La réponse ne se fait pas attendre : “c’est trop lourd pour une femme et surtout il se pourrait que tu sois nida (ndlr: en situation d’impureté liée au cycle menstruel) et donc interdite de toucher un sefer torah. Donc par précaution on ne vous en donne pas. Désolé.” J’apprendrai plus tard, que les textes permettent explicitement à une femme de tenir le Sefer Torah, même en période de règles.
Quelques années plus tard, je ne suis plus engagée. Je fais tout ce qui est en mon possible pour comprendre ces différences, pourquoi je les accepte dans un contexte juif quand elles m’auraient révoltée dans un contexte non communautaire. Je m’inscris au SNEJ (ndlr: programme d’études juives pour jeunes adultes organisé à Paris par l’AIU) puis à un cours mixte de Guemara sur texte. J’organise aussi avec mon association des offices parallèles sur les airs Carlebach. Les femmes peuvent danser et chanter de leur côté de la mehitsa. Femmes et hommes sont de part et d’autre de l’arche. Pour fêter le premier shabbat, je donne le kiddoush à faire à une femme. Ce n’est pas un acte militant, juste une façon d’honorer une amie par une action qui -je l’avais étudié peu de temps auparavant – ne semblait pas poser de problèmes halakhiques. Même dans ce contexte progressiste le tollé est général. On me demande de ne pas réitérer sous peine de voir la plupart des membres quitter l’association. Je n’ose plus le faire.
Aujourd’hui, je me suis fiancée. J’apprends que si moi je suis tenue d’avoir des cours sur la Nida pour valider mon mariage au consistoire, mon mari n’est tenu de rien. J’apprends que ces cours ne sont qu’une exposition très pratique des règles de la nida. Je suis horrifiée de voir que le sens importe peu, que les femmes dont j’ai écho ne préparent pas, n’expliquent pas la cérémonie du mariage, n’aident pas à se préparer à un Get difficile. Elles ne parlent pas non plus du couple, d’amour et de spiritualité. Juste la Nida. Comme une fin en soi. Qu’à cela ne tienne je trouve grâce au groupe “Judaïsme et Feminisme” une personne qui me suit et m’apporte tout la connaissance désirée, pourtant je sais que mon cas est exceptionnel.
Pour notre cérémonie de mariage, j’émets l’idée de faire monter des femmes sous la houppa, pour lire quelques versets à l’instar des 7 hommes qui réciteront les 7 bénédictions des mariés et des deux témoins obligatoirement homme. Des membres de ma famille me menacent de ne pas venir, par honte.
Je n’abandonne pas l’idée. Aujourd’hui, je veux construire un judaïsme orthodoxe ouvert, qui ne me ramène pas à un statut que la société civile m’a fait dépasser depuis longtemps. Je veux étudier librement, et je veux avoir une place de choix dans l’espace synagogal, je veux être libre de pouvoir répondre aux superstitions qui ligotent la halakha dans un carcan de bigoterie. Une halakha qui, quand on l’étudie semble beaucoup plus progressiste que la société juive orthodoxe française actuelle. Je veux, aussi, que nos institutions condamnent ces dérives sexistes fondées sur des traditions obsolètes et non sur des lois.
Tali Fitoussi a été interviewée dans le podcast “féministe et croyant” Dieu.e, que l’on peut écouter en cliquant ici.
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