Propos recueillis et traduits par Faustine Sigal-Goldberg.
Faustine Sigal-Goldberg: Pourquoi et comment est né Sefaria?
Daniel Septimus: Sefaria a été fondé en 2013 par l’auteur à succès Joshua Foer et un ancien chef de produit Google, Brett Lockspeiser en réponse à un problème et une opportunité uniques: le monde juif ne capitalisait pas sur des développements technologiques majeurs, qui auraient pu se traduire en des opportunités d’étude sans précédent. Deux ans plus tôt, Josh avait cherché en ligne une traduction anglaise du Talmud et les deux premiers résultats de Google était des PDF piratés illégalement et un site antisémite. Josh et Brett, qui était devenu amis longtemps auparavant au sein de la Bronfman Youth Fellowship – ont décidé de développer un produit qui abaisserait les barrière d’accès au texte juive, créerait des interfaces interactives pour une nouvelle conversation juive et fournirait aux enseignants, chercheurs et technologues une base de donnée en libre-accès de littérature de Torah et faciliterait ainsi le développement d’applications éducatives. Le centre de ce projet serait une bibliothèque digitale des grands textes du judaïsme, dans la langue originale et en traduction. Josh et Brett on appelé le projet Sefaria, un jeu de mot sur les mots hébraïques livre (sefer) et bibliothèque (sifria)
Vous pouvez en apprendre plus sur l’histoire de Sefaria dans cette vidéo de 2017 en cliquant ici.
FGS: Qu’est-ce que Sefaria permet à ses utilisateursᐧrices de faire? Qui l’utilise?
DS: Depuis son lancement en 2013, 4 millions de personnes autour du monde ont utilisé la bibliothèque Sefaria, avec plus de 250 000 utilisateurs mensuels. Les utilisateurs de Sefaria viennent de tout le spectre des communautés juives et de l’écosystème éducatif. Certains ont étudié le texte toute leur vie, et d’autres accèdent aux textes juifs pour la première fois grâce à une recherche Google. Ils et elles sont des rabbins, chercheurs, enseignants, étudiants, dirigeants de communauté ou des curieux. Au dernier compte, près de la moitié (39%) des utilisateurs avaient moins de 34 ans, et 23% se décrivaient comme enseignants. Nous avons des utilisateurs dans presque tous les pays du monde, sur six continents.
Sefaria donne des superpouvoirs à l’étude juive. Pour les néophytes, Sefaria est une entrée accessible à la bibliothèque juive, qui offre une interface intuitive pour explorer ainsi que des traductions anglaises et des outils explicatifs. Pour les étudiants plus aguerris, avoir la vaste bibliothèque de Sefaria, de niveau de yeshiva, accessible à portée de clic, leur permet d’étudier la Torah à n’importe quel moment et n’importe où. Sefaria ne rend pas seulement l’étude de la Torah plus facile, elle peut aussi la rendre meilleure. Avoir ces textes en format digital permet de nouvelles manières enthousiasmantes d’étudier le texte. Notre explorateur de liens (cliquer ici) par exemple, permet de visualiser les connexions entre les textes, donnant vie au concept de tradition interprétative comme jamais auparavant. Notre constructeur de feuilles de sources (cliquer ici) invite les juifs et juives contemporains non seulement à explorer la grande conversation juive du passé, mais aussi à contribuer activement à son présent. A ce jour, plus de 200 000 feuilles de sources ont été créées par des utilisateurs sur notre site. Pour mieux comprendre ce que Sefaria permet à ses utilisateurs, lisez ces commentaires d’utilisateur:
Je suis un juif de classe moyenne et un enseignant d’études juives. Je ne peux pas m’offrir une grande bibliothèque mais j’ai besoin d’accéder à nos textes. J’utilise Sefaria tout le temps pour étudier, débattre et créer des plans de cours. Merci! – Marc T.
Sefaria m’a ouvert les portes d’un tout nouveau monde. J’ai grandi en Ukraine et n’ai jamais reçu d’éducation juive. Durant de nombreuses années, j’ai entendu parler du Talmud, des Prophètes et des Hagiographes mais ne savais pas de quoi il s’agissait. Maintenant qu’ils sont accessibles par Sefaria, le monde de la sagesse s’est ouvert à moi. Mon prochain objectif est d’apprendre l’hébreu pour lire ces textes dans leur version originale. Merci Sefaria de ce que vous faites. – Gene Burd
FGS: Quels sont (certaines) des choses que Sefaria change dans la relation d’enseignement et d’étude?
DS: Quand je disais plus haut que Sefaria donne des superpouvoirs à l’étude juive, je voulais dire pour tous les publics, étudiants inclus. Les leçons basées sur Sefaria permettent aux étudiants d’explorer, découvrir et créer, capitalisant sur leurs compétences digitales pour étudier le texte dans des manières nouvelles. Sefaria encourage les élèves dès le CP à s’approprier ces textes. Ce n’est pas seulement les devoirs qui changent, le temps de classe devient plus génératif et interactif. Les élèves manipulent les textes, divisent les psukim (versets), utilisent des codes-couleurs, mettent des passages en gras, créent des clés explicatives, ajoutent des commentaires. Ce faisant, les élèves rejoignent les rangs d’innombrables juifs à travers l’histoire qui ne se sont pas comportés en consommateurs passifs de texte mais en interprètes et commentateurs, façonneurs actifs de la tradition.
Enseigner avec Sefaria, c’est alors permettre aux élèves de s’approprier leur patrimoine textuel, de se sentir à l’aise d’explorer son passé et de contribuer à son futur.
FGS: Sefaria peut-il être utilisé dans des cadres éducatifs informels, i.e. qui ne soient pas des salles de classe?
DS: Absolument. L’accès à un site gratuit, intuitif et multilingue donne aux étudiants et éducateurs de tous horizons et âges une opportunité sans précédent de s’initier à cette tradition de manière indépendante. Quand on l’utilise adéquatement, l’expansivité non-linéaire de Sefaria éveille la curiosité de l’étudiant et permet même à ceux avec une connaissance textuelle minimale de trouver des travaux qui leur parlent. Le résultat est que tous peuvent contribuer activement à la grande conversation de la Torah. En effet, des éducateurs de toutes sortes utilisent Sefaria avec leurs communautés pour approfondir l’étude juive et inviter leurs participants à se joindre à cette pratique.
FGS: Quels sont les défis spécifiques dans votre projet d’amener Sefaria en France?
DS: Nous avons deux défis principaux concernant le futur de Sefaria en France. Pour que Sefaria soit véritablement accessible à un public français, nous devons créer une interface de navigation en français. Cela veut dire traduire notre page d’accueil, tous les liens d’information, les guides, sommaires et informations explicatives pour que l’on puisse naviguer sur Sefaria en français de manière aussi fluide qu’en anglais. Nous allons aussi devoir créer un nouveau lien URL et rediriger le trafic internet français vers ce site miroir (comme nous le faisons pour sefaria.org.il, notre site en hébreu). Bien qu’enthousiasmant, ce travail ne vaut d’être fait que si nous avons assez de textes en français pour le justifier.
Ceci m’amène à notre second objectif: acquérir les droits de textes en traduction française. Pour maximiser l’accès à ces textes et produire une bibliothèque qui puisse être utilisée et réutilisée par tous les juifs et pour toujours, Sefaria publie tous ses textes avec des licences ouvertes. C’est la plus grande valeur ajoutée de Sefaria à la communauté juive, mais aussi son plus grand défi. Ce sera également le cas en France. La vaste majorité des textes disponibles en traduction française sous soumis à des droits d’auteurs et nécessiteront des négociations avec des éditeurs et auteurs si Sefaria veut les amener au public. Il y aura aussi le défi de lever les fonds nécessaires pour ce faire. Ceci dit, les premières conversations avec les éditeurs français ont été très positives.
FGS: Comment le public français a-t-il reçu Sefaria pour l’instant?
DS: La communauté juive française est notre public non-anglophone le plus large après Israël, et notre cinquième public mondial, derrière les Etats-Unis, Israël, le Royaume-Uni et le Canada. En 2019, Sefaria a été utilisé 70 000 fois par plus de 26 000 utilisateurs en France. Cela veut dire que près de 6% des juifs français utilisent le site Sefaria, alors qu’il n’est pas optimisé pour les francophones et qu’aucun effort formel de marketing n’a été fait par nos équipes auprès du public français. J’ai voyagé en France en novembre où j’ai participé à une conférence et rencontré beaucoup d’acteurs-clé de la communauté juive français. J’ai été époustouflé de l’enthousiasme et de la passion pour Sefaria que j’ai rencontrés.
FGS: Quel est votre texte préféré sur le site? Et votre fonctionnalité préférée?
DS: Eh bien, un de nos ajouts récents, le Torah Tracker (cliquer ici) répond aux deux questions! Le Torah Tracker est disponible sur votre compte si vous vous connectez à Sefaria, et bous dira quels sont vos textes préférés et comment cela se compare au reste de la communauté des usagers du site. Cette information n’est pas publique, mais voici une capture d’écran (cliquer ici) de la comparaison de mes textes préférés comparés aux autres usagers. Comme vous pouvez le voir, je passe plus de temps sur le Talmud que l’utilisateur Sefaria moyen, mais bien moins avec le Tanakh. Ce sont des outils comme ceux-ci, permis par l’utilisation de la data, et personnalisés pour chaque utilisateur, qui rendent la possibilité d’accéder digitalement à la Torah tellement prometteuses.
Daniel Septimus vit à New York. Il est le PDG de Sefaria.
Leave A Comment