Propos recueillis par Faustine Goldberg-Sigal

Lievnath Faber vit à Amsterdam et est une mère de 35 ans. Elle est chercheuse en médias et travaille avec des femmes, en tant que créatrice cinématographique et sage-femme au sens traditionnel, c’est-à-dire de les accompagner de la naissance à la mort. 

 

Faustine Goldberg-Sigal : Qu’est-ce qu’un cercle de rosh chodesh ?

Lievnath Faber : C’est un moment de réunion autour de la nouvelle lune durant lequel un groupe de femme explore les thèmes juifs, notamment kabbalistiques, spécifiques à ce mois-là. Les femmes se sentent protégées, reconnues et soutenues par le groupe. Le reste est assez libre. C’est en fait l’un des rituels les plus souples que l’on aie dans la tradition juive : c’est une tradition très orale, peu rabbinique qui invite ses participants à se l’approprier. 

 

FGS : comment as-tu rencontré le concept de cercle de rosh chodesh ?

LF :  En 2017, j’ai fini mon master de recherche et ma thèse sur les représentations de la naissance dans les médias. Je cherchais désespérément à me reconnecter à mon identité juive à la fois d’une manière académique et d’une manière tangible. J’ai envoyé un message dans la communauté ROI de la Fondation Schusterman dont je fais partie. J’ai été mise en rapport avec Sarah Waxman qui avait créé At The Well et organisait le premier sommet Timbrel. Nous nous sommes immédiatement bien entendues : je m’identifiais beaucoup à ses passions. Timbrel était une rencontre de femmes juives autour des sujets de la santé et la sexualité des femmes. J’y ai découvert le concept de cercle de rosh chodesh et l’ai trouvé très intéressant. Cela faisait plusieurs années que je m’intéressais beaucoup aux cycles menstruels féminins, leur impact sur la santé mentale et générale, le travail, etc. Rosh chodesh m’a permis de structurer concrètement mon rapport au temps du mois, à mon environnement social et professionnel, à mon humeur, etc. à travers des concepts kabbalistiques. C’est pour moi une façon claire, holistique et libre de comprendre mon cycle.

 

FGS : Pourquoi faudrait-il être spécifiquement entre femmes ?

LF : Le rituel du cercle de rosh chodesh concerne des gens dont le corps traverse des cycles mensuels, c’est-à-dire souvent des femmes, et plus largement des gens qui ressentent qu’ils vivent dans le corps de femmes, avec ou sans utérus, avec ou sans menstruations (suite à des ménopauses, des hystérectomies ou dans des situations de transexualité par exemple). Ce critère commun permet un certain type de conversation. En effet, dans le judaïsme comme ailleurs, les femmes ont souvent été reléguées aux marges. Or ce rituel a toujours été spécifiquement pour les femmes, à l’instar du mikveh. Tous deux ont souvent été justifiés de manière misogyne et il faut que les femmes réparent cela. Au-delà des femmes, les alliés sont cruciaux, mais il faut d’abord faire un travail interne avant d’aller vers la communauté au sens large. 

 

FGS : Pourquoi ce rituel se déroule-t-il spécifiquement à l’occasion de rosh chodesh

LF : La lune est liée aux femmes et leurs cycles dans beaucoup de civilisations, juives et autres. L’une des raisons de ce lien dans la tradition rabbinique est que ce rituel est un cadeau de reconnaissance et de célébration pour les femmes parce qu’elles ont refusé de s’associer au veau d’or. Mais c’est en fait un rituel pré-rabbinique : les femmes avaient l’habitude, lors de leurs règles, de séjourner dans une tente communale qui leur était dédiée afin de vivre cette période ensemble. De nos jours, nous avons perdu l’idée du cycle comme sacré et le voyons plutôt comme un désagrément. Nous avons aussi perdu l’habitude d’une sociabilité communautaire intergénérationnelle, entre femmes ou non. Rosh chodesh permet de renouer avec tout ça et de l’ancrer dans nos communautés. 

 

FGS : Qu’est-ce que ce rituel permet en termes d’éducation juive ? 

LF : Rosh chodesh permet de suivre le calendrier juif. On apprend progressivement à voir et vivre la vie à travers le prisme du temps juif. Voilà deux ans que je vis ma vie au rythme de la lune et je trouve ça incroyable. Je sais quel jour nous sommes dans le mois, ce que ça veut dire quant à la phase de la lune et ce à quoi m’attendre dans mon corps. Bien sûr, on peut aussi avoir ce rythme mensuel avec la vie synagogale, mais il se passe quelque chose de singulier quand cette temporalité se conjugue avec celle de mon corps. En outre, pas tout le monde, et en particulier pas toutes les femmes vont à la synagogue. Rosh chodesh peut alors leur servir d’ancrage temporel. 

Ensuite, chaque mois juif donc par extension chaque rosh chodesh a des thèmes kabbalistiques. C’est une opportunité pour en explorer les ramifications strictement personnelles – alors que beaucoup d’étude juive est une réflexion sur la famille, ou le groupe. J’ai remarqué que dans un groupe de femme, les individus quittent ces réunions comblées, accomplies. 

 

FGS : Comment créer un cercle de rosh chodesh ?

Il faut vérifier sur un calendrier la date du prochain rosh chodesh et réunir un groupe d’amies et amies d’amies. Chaque mois, l’organisation tourne : une personne accueille ou trouve l’espace et une autre prépare les activités. 

Pour vous inspirer, l’organisation At The Well a sur son site pas mal de conseils pratiques, des “Moon Manuals” pour chaque mois et des livrets de conseils (comment gérer le groupe et la conversation, avoir un début et une fin qui aient du sens, prévenir les gens du programme, s’assurer que l’espace soit inclusif, etc.). Vous pouvez aussi prendre contact avec d’autres groupes comme le mien à Amsterdam, ou celui qui va bientôt commencer à Budapest. Je vous rendrai visite ou skyperai avec plaisir pour donner un coup de main. En réalité, le meilleur conseil est de se réunir et de se lancer !