Propos recueillis par Faustine Goldberg-Sigal
La pédagogie Montessori, créée au début du XXe siècle par le docteur Maria Montessori n’a pas perdu de sa modernité et de sa pertinence. Pour Maria Montessori, chacun est naturellement doté de curiosité et de goût pour le savoir. C’est cette appétence intrinsèque que l’école doit nourrir et guider, plutôt que d’imposer aux enfants les projets et idées de l’enseignant. Les neurosciences modernes ont confirmé ces intuitions et permis de les développer. Le livre de Céline Alvarez, Les Lois Naturelles de l’Enfant (Les Arènes, 2016) où elle raconte son expérience d’enseignement Montessori dans une maternelle à Gennevilliers, s’est écoulé à plus de 220 000 exemplaires. Alors que ces idées trouvent écho chez un public d’enseignants et de parents croissant en France, il n’existe à ce jour pas d’école juive Montessori en France. De l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, fonctionnent actuellement plus de 40 écoles juives Montessori, de toutes dénominations (libérales, orthodoxes, ultra-orthodoxes, non-affiliées, pluralistes, etc.). Barbara Garber dirige l’une d’entre elles, la Goldberg Montessori School à Houston au Texas. Elle a répondu à nos questions.
FGS: Dans le dernier épisode du Chat du Rabbin de Joann Sfar, le rabbin dit à son élève que le judaïsme s’apprend à table et pas avec un rabbin. Comment une école Montessori permet-elle cela?
BG: C’est particulièrement vrai concernant les jeunes enfants. Nous profitons de chaque repas pour faire les bénédictions de la nourriture, nos enfants ont une séance de musique avec le rabbin chaque vendredi et nous célébrons chaque fête juive. A l’occasion de la parashat Noach, nous faisons venir des animaux à l’école pour que les enfants les caressent. Les enfants vont fabriquer des décorations pour notre souka. Nous ne rentrons pas en détails dans les controverses rabbiniques et leurs sources mais nous concentrons sur l’aspect festif. Nous faisons.
Au-delà de ces aspects, sans doute communs à la plupart des écoles maternelles juives, nous intégrons des concepts et symboles juives dans les outils pédagogiques Montessori. Dans notre environnement préparé, les enfants choisissent des activités librement dans les étagères. Dans l’espace “vie pratique”, l’une des activités est la table de chabbat. Il s’agit d’un kit permettant à l’enfant de mettre la table de chabbat de manière autonome, dès qu’il le souhaite. Lorsqu’ils font des mathématiques avec des comptes d’objet, nous leur proposons en ce moment des pommes. En outre, le temps de cercle (i.e. le temps initial de la journée où l’enseignant est avec tout le groupe et non pas avec des élèves individuels) est l’occasion dans nos classes de la tfilah (prière) quotidienne.
FGS : Les parents arrivent-ils à votre école en quête de pédagogie Montessori et/ou d’éducation juive?
BG: Nous avons certains parents qui viennent parce qu’ils sont intéressés par la pédagogie Montessori, parfois qu’ils ont eux-même grandi dans une école Montessori, mais ce ne sont pas la majorité. Nous sommes l’une des écoles maternelles juives de Houston et nous prospérons parce que nous avons une excellente réputation. Les parents entendent grand bien de notre école mais peuvent ne pas connaître grand chose quant à la pédagogie Montessori. Nous répondons à leurs questions lors de rencontres ou en leur proposant de se joindre à deux classes de 30 minutes. C’est comme ça que la lumière se fait! Enfin, nous avons quelques familles non-juives qui veulent une école Montessori et vivent dans le quartier.
Après notre école, les parents ont de nombreuses options : école primaire juive Montessori, école juive plus classique, école publique, école privée laïque, etc. Nos enfants s’adaptent bien et s’épanouissent dans tous ces contextes.
FGS: Comment l’indépendance d’esprit encouragée par l’éducation Montessori interagit-elle avec une éducation religieuse?
BG: L’éducation Montessori s’efforce d’encourager le développement de l’indépendance d’un enfant. Je ne crois pas qu’un enfant puisse être indépendant en général mais pas dans son judaïsme et vice versa. Est-ce que nous voulons que nos enfants juifs soient de libres penseurs? Bien sûr, ce n’est pas une question! Ajouter de l’éducation juive, c’est ajouter une modalité d’indépendance. Maria Montessori n’a pas commencé son travail pour promouvoir l’éducation religieuse, mais il se trouve que les deux s’harmonisent facilement.
Dans une école Montessori, vous n’entendrez pas “tu dois faire ça” ou “tu dois croire ça”. Vous entendrez peut-être “voici ce que nous faisons”. Nous encourageons ensuite les enfants à s’étonner et remarquer des choses inhabituelles : Pourquoi faisons-nous ça? Pourquoi est-ce que ceci marche ou pas? Il est raisonnable que cet étonnement survienne aussi dans les enjeux religieux. Bien sûr, à l’âge de la maternelle, cela reste mesuré.
FGS: Le Président Macron vient de nommer le pédopsychiatre Boris Cyrulnik d’une mission autour des “1000 premiers jours de l’enfant”, prenant acte de l’impact considérable de cette période sur le développement humain. Plus spécifiquement, en termes d’éducation juive, qu’est-ce qui se joue dans cette période initiale?
BG: Dans la pensée Montessori, on parle davantage des six premières années, dites “période de l’esprit absorbant”. On a pu penser, par le passé, que durant ces années en particulier, les adultes s’occupent des enfants, font des choses pour eux, etc. On sait désormais que c’est loin d’être le cas : les enfants sont incroyablement proactifs dans leur apprentissage et leur développement. Les enfants apprennent en faisant, et aiment faire. Ils ont aussi besoin de répétition de constance. Ainsi, l’ajout d’une manipulation dans un apprentissage permet de renforcer les connexions neurologiques.
Dans le contexte de l’éducation juive, il y a une forte routine. Nous vivons au rythme du calendrier juif : en célébrant chabbat chaque semaine, peu importe comment la famille le fait, la routine et la régularité permettent de développer de fortes habitudes et des bases solides. L’important n’est pas tant le contenu de ce chabbat – cela peut être acquis ou modifié ultérieurement – que le fait que chaque semaine, on nourrisse ces routines. Un enfant de 6 mois ne peut pas aller à la synagogue de son propre chef, mais il peut se réjouir de chabbat à travers les bougies, les prières et les chansons. Cette routine est plus facile à intégrer à l’échelle de la semaine que de l’année. Un enfant aura du mal à identifier et exprimer que l’on célèbre chaque année Rosh Hashanah, mais il peut assimiler que l’on célèbre chabbat tous les vendredis, que l’on fait toujours une bénédiction avant de manger quelque choses, etc. A travers cette répétition de motifs fixes, le rituel juif est alors l’une des modalités par lesquelles l’enfant se développe.
Barbara Garber dirige la Goldberg Montessori School à Houston au Texas.
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